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Le pouvoir des mouvements sociaux et le leadership des femmes face aux mégaprojets de minerai de fer au Brésil : leçons pour les activistes guinéens

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Niché dans les magnifiques montagnes de Guinée, en Afrique de l’Ouest, se trouve Simandou, le plus grand gisement inexploité de minerai de fer à haute teneur, convoité par les sociétés minières depuis des décennies. Les promoteurs du projet Simandou, notamment Winning Consortium Simandou (WCS) et le géant minier australien Rio Tinto – tous deux soutenus par le plus grand fabricant d’acier chinois, Baowu – avancent rapidement sous la pression intense de la junte militaire au pouvoir en Guinée, pour développer et commencer la construction de ce qui est aujourd’hui le plus grand projet combiné d’exploitation minière et d’infrastructure du continent. Bien que le projet Simandou soit considéré comme porteur d’une grande promesse de croissance économique pour ce pays appauvri soumis à son troisième régime militaire, de nombreux impacts importants pour les droits humains et de l’environnement ont été documentés depuis le démarrage du projet. Dans le cadre de mon travail avec le programme des Droits Humains de 11th Hour Project, nous soutenons plusieurs organisations qui tiennent à ce que le gouvernement et les promoteurs du projet soient redevables et exigent le respect de leurs obligations en matière de droits humains et de droits environnementaux.

     

Dans le cadre de ce travail de plaidoyer, j’ai accompagné le mois dernier un groupe de leaders communautaires du corridor du projet de Simandou et le personnel de l’ONG Action Mines Guinée lors d’un échange d’apprentissage au Brésil. Nous nous sommes rendus dans les principales régions minières du Brésil, à Minas Gerais, dans le sud-est du pays, afin d’en apprendre davantage sur les dégâts causés par les barrages de résidus miniers et sur l’organisation des communautés. Nous nous sommes ensuite dirigés vers le nord, à Pará et Maranhão, en Amazonie, pour participer à une réunion régionale des communautés affectées par l’exploitation minière. Nous avons pu constater de visu l’impact du corridor de chemin de fer de Carajás, avec ses mines de fer à ciel ouvert situées dans de magnifiques zones protégées, une ligne de chemin de fer massive transportant du minerai et des marchandises, et les redoutables défis que représente la réinstallation des communautés affectées par l’exploitation minière.

     

  1. Exiger des promoteurs du projet Simandou qu’ils répondent de leur impact sur les droits humains

Bien que le projet Simandou n’ait démarré qu’en 2021, des organisations nationales et internationales ont déjà documenté ses effets dévastateurs, à ce stade précoce de son développement, sur les précieuses ressources des communautés locales, notamment l’eau, la biodiversité forestière, les terres agricoles et la sécurité alimentaire. Des groupes dénoncent également les risques que le projet fait peser sur le climat. Avec le soutien d’Action Mines Guinée, les comités de suivi locaux de Simandou documentent l’écart important entre la rhétorique et l’action de WCS et Rio Tinto en matière de respect des droits des communautés, avec des dommages non réparés sur les ressources en eau, la pêche, les terres agricoles, des fissures dans les maisons dues au dynamitage, la pollution par la poussière et de l’air, et plus encore. Ces rapports ont un air de « déjà vu » pour l’un des développeurs de projet WCS en Guinée: un projet d’exploitation de bauxite développé à la hâte à Boké – l’actuel épicentre minier du pays – qui a laissé des dommages considérables non réparés sur l’eau, les terres agricoles et les moyens de subsistance des communautés locales, comme cela a été largement documenté dans un rapport de Human Rights Watch en 2018 et dans un audit de la communauté de Natural Justice en 2023.

Malgré les promesses de création d’emplois locaux dans le cadre des projets de construction de Simandou, ces opportunités n’ont pas encore été concrétisées pour les communautés environnantes. Les manifestations locales réclamant un accès juste et équitable à ces emplois ont fait l’objet d’une répression rapide et violente de la part du gouvernement militaire. Plus récemment, le 17 juillet 2024, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des balles réelles pour réprimer les manifestations à Beyla, faisant trois morts et de nombreux blessés graves, suivis des arrestations.

  1. Apprendre des communautés locales au Brésil sur les impacts de l’exploitation de minerai de fer et l’organisation communautaire

Risques élevés de rupture des barrages de résidus miniers

L’exploitation minière est en fait un exercice de création et de gestion des montagnes de morts-terrains et de déchets (également appelés résidus) qui doivent être déplacés pour atteindre les minéraux ou les métaux de grande valeur. En 2015, l’effondrement massif des digues de résidus de la mine de fer de Samarco à Mariana, détenue par Vale et BHP Billiton, a tué 19 personnes. Nous avons traversé la ville fantôme de Bento Rodrigues, où les victimes nous ont parlé de l’impunité persistante de l’entreprise, et des avantages liés à la réinstallation qui ne se sont toujours pas concrétisés.

     

     

Nous nous sommes également rendus à Brumadinho où, en 2019, l’effondrement du barrage de résidus de la mine de Vale a coûté la vie à 272 personnes, dont la plupart étaient des travailleurs, et a entraîné le déversement de près de 10 millions de mètres cubes de résidus miniers toxiques qui polluent les cours d’eau et dévaste un vaste territoire. Nous avons écouté les membres de la communauté décrire leurs difficultés à reconstruire leur vie avec les maigres aides des entreprises.

Nous avons également été impressionnéspar le leadership des femmes au sein des communautés et du mouvement social Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB). Nous avons particulièrement été touchés par le succès de la campagne visant à verser l’aide d’urgence directement aux femmes, plutôt qu’aux hommes, pour elles et les enfants. Non seulement la sécurité alimentaire et la stabilité socio-économique des communautés touchées par les catastrophes s’en sont trouvées grandement améliorées, mais cette initiative ad hoc a été officialisée en tant une politique publique. Dorénavant, les aides doivent être versées directement aux individus, plutôt qu’au seul chef de famille.

Peu d’informations sont aujourd’hui disponibles dans le domaine public sur la gestion des résidus dans le cadre du projet Simandou, et nous avons quitté le Minas Gerais avec de nombreuses questions à poser aux développeurs du projet, portant sur: le type de technologie minière à utiliser, letype particulier de gestion des déchets miniers par voie humide ou sèche, et surla divulgation des études de rupture des digues à résidus. Par exemple, sur les milliers de pages des études d’impact environnemental et social (EIES) de WCS, études que nos partenaires se sont donnés beaucoup de mal à obtenir et à passer au peigne fin, seules trois pages environ traitent vaguement de la gestion des résidus, sans les détails requis que la norme industrielle mondiale exige désormais, à la suite des ruptures des barrages de Mariana et de Brumadinho. Nos partenaires continuent de passer au peigne fin les EIES de Rio Tinto, qui ne sont que partiellement disponibles depuis peu. Aucune des EIES du projet Simandou de WCS et de Rio Tinto n’est aujourd’hui accessible au grand public (que ce soit en format électronique, sur un site web ou autre) et pour celles qui ont été obtenues par les ONG locales, les annexes clés ne sont pas souvent jointes et ne sont pas fournies lorsque demandées.

Mouvements sociaux, organisation et éducation populaire

Dans l’État du Minas Gerais, au sud-est du pays, le MAB nous a accueillis pour visiter deux sites qui ont subi des ruptures dévastatrices de digues à résidus. Nous avons découvert les stratégies d’organisation décentralisées et non hiérarchiques du MAB, du niveau local au niveau national, puis au niveau local, fondées sur des valeurs et une philosophie communes.

A única luta que se perde, é aquela que se abandona.” (« Le seul combat que l’on perd est celui que l’on abandonne. ») – Carlos Marighella, MST

De Minas Gerais, nous nous sommes envolés pour l’État amazonien de Pará, où nous avons été accueillis par la Comissão Pastoral da Terra (CPT) et Justiça nos Trilhos (JnT) pour participer à la 13e réunion régionale annuelle des personnes affectées par l’exploitation minière dans le corridor de Carajás, en portugais : Encontro Regional das Atingidas e dos Atingidos pela Mineração (ERAM). Cette réunion a démontré le pouvoir de l’organisation collective en rassemblant une centaine de participants issus de diverses communautés, notamment des agriculteurs, des Afro-descendants et des communautés autochtones, ainsi que des universitaires, des jeunes et des leaders LGBTQ, des organisations de pêcheurs, des réseaux et mouvements sociaux. Les participants ont parlé de la violence du capitalisme sur les terres, les communautés et les femmes, et ont discuté des stratégies collectives d’éducation populaire, de résistance, des zones interdites, de la valeur du leadership des femmes et de la nature de la lutte qui dure depuis des décennies.

Au cours de l’ERAM, nous avons visité l’un des campements au cœur de la vaste campagne de réforme agraire menée par le plus grand mouvement social d’Amérique latine, le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST). Un moment exceptionnel a été la cérémonie mystique qui nous a accueillis dans le plus grand campement du pays, « Terra e Liberdade », où 7 000 familles en situation d’extrême pauvreté squattent depuis le 20 novembre 2023 (Journée de la conscience noire) un territoire rural exceptionnellement riche de l’État de Pará, où des activités minières se déroulent à environ 30 km à la ronde. Les poèmes, les chants et la cérémonie célébrant la terre, les outils, les semences, l’éducation et les enfants ont partagé un puissant message de solidarité dans une vision collective positive, pour un avenir meilleur par ceux qui ont été brutalisés et lésés par le complexe capitaliste-industriel dominant.

    

La cérémonie « mística » au camp des squatteurs de MST Terra e Liberdade, Brésil

Les forêts nationales, les chemins de fer à usage multiple et les infrastructures énergétiques profitent à l’élite des entreprises et non aux citoyens ordinaires

Lors de notre dernier jour à Pará, nous avons visité les puits d’extraction de minerai de fer de Vale, situés au cœur de la forêt nationale de Carajás. Cette opération a conduit à l’expropriation des communautés autochtones telles que les Xikrin, avec peu ou pas de mesures correctives. Aujourd’hui, l’entreprise contrôle étroitement l’accès à la forêt nationale et exige que les visiteurs autorisés soient accompagnés d’un guide afin de limiter leurs déplacements. Cette visite a montré qu’une fois de plus, les intérêts des entreprises prévalent sur la protection de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que sur la vie et le bien-être des communautés traditionnelles et autochtones.

Dans l’État voisin de Maranhão, nous avons vu les chemins de fer utilisés pour transporter du minerai et des produits de base, tels que le soja, depuis l’intérieur du pays jusqu’au port en eau profonde de São Luis. Considérée comme « polyvalente », la voie ferrée transporte du minerai et des marchandises toutes les 8 minutes, 24 heures sur 24, et n’accueille des trains de passagers que trois fois par semaine. Les communautés vivant le long du corridor ferroviaire souffrent constamment du bruit des trains qui passent, des vibrations qui affectent leurs corps et leurs maisons, et de l’insécurité des personnes et des animaux qui traversent les voies. Enfin, l’infrastructure énergétique qui alimente l’industrie sidérurgique – hauts fourneaux,centrales électriques et cimenteries- profite essentiellement à l’industrie, laissant les ménages payer l’électricité à des prix parmi les plus élevés du pays.

     

Les derniers jours ont été consacrés à la visite de la communauté de Piquiá de Baixo, située à l’ombre de l’industrie sidérurgique, qui a rendu la qualité de l’air et de l’eau toxique pour les humains. La communauté a demandé à être réinstallée et, vingt ans plus tard, les familles n’ont toujours pas reçu les clés de leurs nouvelles maisons sur le site de réinstallation de Piquiá da Conquista.

  1. En avant avec une inspiration positive et de la solidarité

Nous avons passé notre dernière journée à Sao Paulo à filmer des entretiens de fin de mission afin de saisir les leçons riches et profondes apprises par les participants guinéens.

   

Nous avons entendu des leçons positives et inspirantes sur le leadership et l’autonomisation économique des femmes; sur l’organisation collective décentralisée à plusieurs niveaux, centrée sur un ensemble de valeurs partagées, rendue possible grâce à l’éducation populaire et aux outils d’écoute de la communauté. Nous avons également entendu des mises en garde contre les nombreuses promesses non tenues des sociétés minières et l’accaparement des bénéfices par les élites; les impacts négatifs cumulés vertigineux des projets ferroviaires, miniers, énergétiques et d’infrastructure, et plus particulièrement les impacts irréversibles des catastrophes telles que les ruptures de digues à résidus; la destruction des forêts nationales et de la biodiversité, des villages traditionnels et des sites culturels indigènes.

   

Le cinéaste Tom Laffay nous a accompagnés lors de cette visite. Nous travaillons actuellement à la réalisation d’un court documentaire mettant en lumière les principales leçons à partager avec les communautés et la société civile en Guinée, afin d’en élargir la portée.

Cet échange d’expérience a été rendu possible grâce au financement et à la facilitation de 11th Hour Project. Je suis reconnaissante au Fonds SAGE qui nous a présentés à ses partenaires locaux au Brésil, en nous mettant en contact avec des organisations d’accueil alliées qui ont rendu ces expériences exceptionnelles possibles. Notre duo d’interprètes français-portugais a rendu la communication aisée, et nous avons tous apprécié la patience infinie de notre organisateur pour s’assurer que tout le monde était à l’aise.
Nous remercions également les nombreuses personnes qui nous ont conseillés dans la planification de cet échange, notamment l’American Jewish World Service (AJWS), la Fondation Ford, Earthworks, Environmental Defender Law Center (EDLC), l’Instituto Cordilheira et le Grupo de Pesquisa e Extensão Política, Economia, Mineração Ambiente e Sociedade (PoEMAS).

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